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» "Dawa, l’appel à Dieu", un film de propagande djihadiste ? Les (...)

Publié le samedi 9 mars 2019

Nous sommes obligés de réagir publiquement aux propos de Nadia El Fani, présidente du jury documentaire du Fespaco 2019, qui qualifie notre production « Dawa, l’appel à Dieu » un « film de propagande insidieuse et dangereuse ». Propos qu’elle a voulu relayer à la cérémonie de clôture du festival, qui se trouvent désormais sur les réseaux sociaux.

Avec tout le respect qu’on doit pour Nadia et son combat de cinéaste et documentariste à succès, en reconnaissant le prix qu’elle a payé pour ses prises de position courageuses après son film « Laïcité Inch’allah », nous qualifierons ces propos et sa lecture du film erronés.

Revenons aux circonstances dans lesquelles, Nadia a découvert le film avec les autres membres du jury. Nous sommes mercredi 27 février au Ciné Neerwaya. La projection à laquelle elle a assisté, s’est interrompue au moins 20 fois en pleine projection à cause d’un lecteur bluray défectueux. Vers la fin du film, la lecture devenait tellement problématique que certaines parties du film ont "sauté", parfois une minute, parfois 30 secondes. A la fin du film, ce sont les 3 dernières minutes avant la générique de fin qui n’ont pas été projeté. Comme d’habitude au Fespaco, le film n’a pas été suivi de débat pour permettre au réalisateur de mettre son film en contexte, ni pour répondre aux questions. Une seule question de Mme El Fani au réalisateur aurait permit de comprendre la réelle position de Malick vis-à-vis des mouvements intégristes et la terreur qu’ils imposent au Mali.

En rappel, le film retrace le parcours autobiographique de son réalisateur Malick Konaté, qui a été adepte du mouvement islamique Dawa mais qui, avec la crise qui se déroulait au Nord du Mali, s’est senti de plus en plus mal à l’aise de voir certains leaders spirituels du mouvement Dawa apparaître parmi les chefs djihadistes. C’est le cas de Iyad Ag Aghali et de « Barbe Rouge » qui sont tous les deux issus du mouvement Dawa. Dans le film, Malick fait un parcours pour retracer des avis des gens sur le mouvement Dawa et sur l’occupation du nord du Mali. Des propos parfois complaisants avec le mouvement, des propos souvent très durs à leur égard. Ces propos n’ont pas été censurés. Tous les témoins filmés au Nord du Mali sont victimes des djihadistes : des jeunes patrouilleurs de Gao, un couple fouetté pour raison d’adultère, un docteur qui a impuissamment assisté aux exécutions publiques et qui par la suite s’occupe des traumatismes des victimes, le grand imam de Sankoré qui de toute sa force s’est opposé aux gens de Dawa,… Même le cuisinier, qui par pur opportunisme a « dealé » avec les dhihadistes à Tombouctou, a fini par payer le prix… car emprisonné à deux reprises après avoir fumé la cigarette. Personne dans le film ne glorifie le discours des barbus, personne ne cherche à passer sous silence leurs exactions.

Malick s’interroge dans le film : « Au regard de ce qu’on voit et des accusations fondées ou infondées, je me pose 1000 questions. Je suis rentré dans la Dawa comme des milliers d’autres jeunes Maliens. Simplement pour connaître Dieu étudier le saint Coran. Mais est-ce que je me suis trompé de chemin ? La Dawa a-t-elle un agenda caché, des complicités avec les djihadistes qui occupent mon pays ? (…)

Les témoignages des gens qui ont subi l’occupation m’ont fait réaliser que la Dawa a été perçue sous un autre angle au nord et au sud du Mali. Leurs propos ont été souvent durs, mais instructifs. Ils me font me font réfléchir sur les liens qui séparent l’islam et l’islamisme, pourquoi il y a eu tant d’amalgames, pourquoi les terroristes qui ont occupé le nord ont-ils utilisé un langage religieux pour asseoir leur pouvoir, Pourquoi des gens que j’ai connu dans le mouvement Dawa se sont pris dans le piège de la violence et de la terreur alors que la Dawa enseigne le contraire.
Du coup, ma façon d’interpréter la Dawa a changé. La crise m’a fait comprendre que la Dawa est avant tout personnelle. Une quête personnelle de savoir et de connaissance à partager. Le djihad, un appel à faire le bien autour de soi. »

C’est une partie du film qui a « sauté » pendant la projection au Fespaco.

En guise de conclusion, le ministre de culte du Mali rejette catégoriquement la forme d’islamisme violente qu’il qualifie comme contraire aux traditions maliennes ; des propos qui ont également été « sauté » lors de la projection au Fespaco.

La structure Semfilms, producteur du film, travaille depuis plus de quinze ans à promouvoir les droits humains, la démocratie, la dignité humaine et la liberté d’expression en Afrique de l’Ouest. C’est notre point de départ et notre raison d’être. Depuis quelques années, elle s’investit dans un vaste programme de promotion de la tolérance et de vivre ensemble dans la zone sahélienne. Pourra-t-elle se permettre de sortir un pamphlet pro djihadiste ? Pourra-t-elle se permettre de projeter ce film partout et mener le débat sur l’importance du vivre ensemble, si réellement le film racontait le contraire ? Nous sommes-nous trompés aussi lourdement sans nous rendre compte ? Sans que notre entourage nous ait signalé ? Sans que d’autres aient tiré la sonnette d’alarme concernant ce film qui a pourtant déjà circulé et été projeté bien avant le Fespaco ?

Dans ce temps où en France et ailleurs, certains ont une sorte de fébrilité envers tout ce qui touche à l’Islam, le film apporte une nuance très importante, qui est une réalité évidente en Afrique : qu’on peut être croyant, musulman, sans être extrémiste. C’est cette leçon qui traverse le film, car c’est la leçon de vie qu’a appris Malick au cours des dernières années que couvre ce film-portrait. D’un « fanatique », il est devenu modéré, quelque part déçu et revenu sur ses certitudes d’avant. Mais sans couper le pont avec sa religion et ses « anciens » amis qu’il fréquente toujours et avec lequel il continue de mener un dialogue franc. Dans le film, il veut faire comprendre à son ami « radical » que le djihad n’a que son sens que dans la recherche du bien être. Qu’on peut vivre une vie de musulman, prier, exister dans le respect total des autres et des autres croyances. Dans un pays comme le Mali, pays à 95% musulman, ce message et ces propos méritent d’être amplifiés. C’est là justement que se trouve le vrai message du film.

SemFilms ambitionne de faire des films sur les réalités du continent africain et choisit souvent des sujets difficiles, des sujets qui font mal ou des sujets à polémique. On nous a déjà censuré, critiqué. Cela n’est pas un problème en soi car nos productions ne sont pas parfaites. Mais nous attaquer sur nos convictions profondes et humaines, sur nos intentions, cela fait bizarre, cela fait mal. Surtout que le jury du Fespaco l’a fait derrière nous, sans dialogue, sans aucune recherche de compréhension sur nos motivations réelles. Il faut dire que la conclusion du jury documentaire du Fespaco n’est pas seulement malheureux, elle est légère et dangereuse car elle se base sur le visionnage partiel d’un film. En dénonçant ce film, le jury met un auteur et une équipe de production dans le banc des accusés, là où ils n’ont pas leur place. Cela répercute forcément sur notre réputation et sème le doute et la confusion sur les raisons de notre combat.

Nous invitons Nadia El Fani de rentrer en contact avec nous pour avoir le lien du film sur vimeo et la transcription intégrale de tous les dialogues du film. De cette façon, elle pourra revoir le film chez elle et relire tout ce qui est dit. Elle se rendra compte que l’accusation n’a pas sa place. Toute autre personne désirant voir le film pour se faire une idée de son contenu « propagandiste », pourra faire de même. Pour des raisons de droits sur les archives et les musiques, il nous est impossible de rendre le film librement accessible sur le net, mais nous pouvons communiquer le lien et le mot de passe à ceux et celles qui désirent avoir accès au film. Nous estimons que c’est bien de restituer la vérité sur ce film. Nous n’avons rien à cacher. Nous n’avons pas d’agenda caché. Nous ne jouons pas le jeu des extrémistes religieux, même pas de façon inconsciente.

Vive le cinéma engagé, le cinéma militant vecteur de messages constructifs et positifs en faveur des droits humains en Afrique.

Gideon Vink
Abdoulaye Diallo
Youlouka Damiba

Producteurs du film
Association Semfilms Burkina
www.semfilms.org

PS en fichier joint : la retranscription littérale du film


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