Koro Bak, tu as définitivement rangé le micro

PAYS : Bénin
DATE DE PUBLICATION : jeudi 12 novembre 2015
CATEGORIE : Articles
THEME : Société
AUTEUR : Redaction

La grande tristesse que l’homme puisse éprouver c’est devoir partir ses proches, surtout lorsqu’il s’agit des personnes que nous côtoyons quotidiennement. Cette situation nous plonge dans des souvenirs les plus enfuis de notre conscience en parcourant chaque moment vécu ensemble. On arrive même à la lancinante question sur le sens de notre destiné sur cette terre. Notre douleur est indescriptible. Toute l’équipe de Droit Libre TV est dans l’émoi et ce, depuis le 8 novembre 2015. Nous te savons malade depuis un moment jusqu’à ton hospitalisation à Yalgado, mais nous gardions toujours l’espoir que tu nous rejoindras plus tard pour le « combat final », puisse que c’est ainsi que tu qualifiais les échéances électorales qui s’annonçaient. Et c’est à croire que c’est le jour même du top départ de ce « combat final » que, red chef, tu as décidé de t’en aller, peu avant midi.

Depuis un certain moment, nous savons bien que Bakary Ouattara, rédacteur en chef de la webtélé Droit Libre TV n’était pas bien en point. Il dépérissait au jour le jour. La force lui manquait. L’appétit était une denrée rare. Nous lui supplions de rester se reposer le temps de récupérer mais l’homme, infatigable est toujours présent à la rédaction. « Ça va aller ; je viens de voir mon médecin qui m’a prescrit des médicaments, il suffit juste de les prendre et tout ira bien … », c’était là ses réponses lorsque nous lui demandions de se reposer. Cela témoigne à quel point l’homme tenait à son travail. Etant malade couché, il s’assurait que les sujets de nos correspondants dans les autres pays étaient rendus à temps. Le 13 octobre 2015, Bakary arrive de la salle de montage à la salle de rédaction où il m’appela en me tendant des bouts de papiers :
-  De quoi s’agit-il, Koro Bak ?
-  C’est la voix off. Il faut monter poser.
-  Mais vous le faites-mieux que moi, koro Bak !
-  Je suis un peu fatigué et ma voix ne porte pas beaucoup. De toutes les façons le sujet concerne ton ancien président (il s’agit du procès Hissène Habré, ancien dictateur Tchadien) donc logiquement tu devrais le faire mieux que moi.
-  Ok, j’y vais de ces pas.

Oui, en réalité Bakary n’avait plus assez de force. Et c’est depuis ce jour qu’il n’a plus remis pied à la rédaction.Il sera hospitalisé le 20 octobre à l’hôpital Yalgado. Il ne parlait pratiquement pas de sa maladie et très peu de gens savaient qu’il était souffrant car il interdisait fermement toute communication autour de son état de santé. Bakary a souffert dans le silence comme il aimait travailler dans le silence.
-  J’ai fini de poser la voix off, vous pouvez aller amender, lui ai-je informé.
-  Ok, je vais écouter et je te reviens.

Quelques minutes plus tard, il me revient comme il m’avait promis, en ces mots :
-  Masbé, c’est parfait, excellent travail ; comme tu as bien travaillé, je t’offre deux brakina bien tapées demain en guise de récompense. Promis !
-  Merci d’avance koro Bak, lui ai-je témoigné ma reconnaissance, tout joyeux en attendent de savourer ma bière le lendemain.

Inutile de vous dire qu’il aimait le travail bien fait et il avait le sens de motivation de ses collaborateurs. S’il y a une chose que Bakary ne pardonnera jamais à la mort, c’est de l’avoir arraché au jour de l’ouverture de la campagne présidentielle. Le red chef attendait impatiemment ces élections qu’il appelait la « finale » mais hélas son horloge n’indiquait pas le même temps que celle du Grand Horloger. Malgré qu’il fût couché sur le lit d’hôpital, nous n’avons jamais cru un instant que Bakary décidera de nous abandonner en mi chemin. Non ! Car à chaque fois que nous venions le rendre visite, il nous réitère sa promesse de nous rejoindre bientôt. Nous avions cru parce qu’il avait vraiment le moral haut. Il échangeait avec nous sans problème tout en nous gratifiant avec sa dose d’humour. On espérait comme il avait promis qu’il allait recouvrer la santé mais nul ne peut contrarier le destin. Nous sommes tous des nains au pied de la mort. C’est une épreuve qu’il faut accepter courageusement.

A peine remis de notre panne de voiture en partant sur Solenzo ce 8 novembre 2015 aux environs de 11h, que j’ai reçu le coup de file fatal. Je ne ressentais plus les rayons du soleil accablant qui me crucifiaient à terre. Je suis resté bouche bée malgré les multiples questions du chauffeur. « Kora Bak, tu as fait un très mauvais choix de partir aujourd’hui », ai-je désespérément laissé entendre. Je crois que le chauffeur a également reçu la réponse à ses multiples questions.
Cruelle destinée ! Atroce souffrance ! Difficile à supporter lorsque le programme de ses obsèques est connu. La levée du corps était prévue à 9h à la morgue de l’hôpital ce 12 novembre. Nous étions tous là mais personne n’osait regarder l’autre dans les yeux. La douleur était encore vive lorsque nous voyons ses enfants dans un uniforme, venus accompagner leur père dans sa dernière demeure.

Bak, tu nous as pourtant promis de nous rejoindre pour le combat final ! Depuis plus d’une année que je travaille à tes cotés c’était la 1re et la dernière fois que tu as fait une fausse promesse. Tu t’es comporté exactement comme l’artiste qui fait la fausse promesse à ses mélomanes qu’il reviendra sur scène, mais qui a fini par déposer son micro en secret. Ta voix s’est éteinte à jamais.

Mais Koro Bak, et mes deux brakina bien tapées ? Je ne les aurai jamais puisse que tu n’es plus revenu et tu ne reviendras plus jamais à la rédaction ! Encore une fausse promesse !

Comme tu as préféré aller te reposer, nous ne te retiendrons. Nous te souhaitons bon séjour aux cotés du Père. Comme des ouvriers, nous te promettons de continuer le job jusqu’à ce que notre tour arrive. Veuille sur nous. Adieu koro Bak !

Masbé NDENGAR

« Le rôle des intellectuels n’est pas de participer à la lutte pour le pouvoir. Encore moins de chercher à l’exercer. Leur rôle est, précisément, de se dessaisir autant que possible de tout pouvoir, de renoncer à l’exercice de tout magistère. Il n’est pas d’interpeller qui que ce soit. Il est de se faire, pour une fois, les maîtres de l’ascèse. »

Achille MBEMBE, historien et politologue camerounais in « Le lumpen-radicalisme et autres maladies de la tyrannie », publié dans le MONDE Afrique

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