Niger : pas de « coup K-O » pour Issoufou

PAYS : Niger
DATE DE PUBLICATION : vendredi 4 mars 2016
CATEGORIE : Blog
THEME : Politique

Le fameux « coup K-O » tant chanté pendant la campagne électorale par la Mouvance pour la Renaissance du Niger (MRN), mouvement pro Issoufou, n’a pas eu lieu. L’élection présidentielle du 21 février a vu le président sortant, Mahamadou Issoufou, candidat du Parti Nigérien pour la Démocratie et le Socialisme (PNDS-Tarayya), en tête du scrutin à l’issu du premier tour avec 48,41%. Mais, bien qu’honorable, ce score qui lui a permis de dominer ses 14 adversaires n’est pas suffisant pour remporter les élections par « coup K-O ». Issoufou ira donc au second tour avec le prisonnier Hama Amadou.

Le 20 mars, le second tour opposera le président sortant au candidat du Mouvement Démocratique Nigérien (Modem Fa Loumana), Hama Amadou, arrivé deuxième avec 17,79% des voix.

Hama Amadou, ancien président de l’Assemblée Nationale et ancien Premier ministre sera donc face à Mahamadou Issoufou, depuis sa cellule de prison à Filingué (à 180 km de Niamey). L’adversaire d’Issoufou, incarcéré depuis plus de deux mois, est emprisonné pour trafic présumé de bébés nigérians. Samedi prochain les « arènes politiques » seront ouvertes pour une nouvelle campagne électorale, à 15 jours du second tour. Cette campagne sera sans surprise, il y a peu d’enjeux. Issoufou l’emportera, c’est mathématique, il dispose d’alliés qui lui garantissent jusqu’à 57% contre 38% pour l’opposition. La Coalition pour l’alternance 2016 (Copa 2016), la nouvelle coalition des partis de l’opposition qui soutient la candidature d’Hama Amadou, a tenté d’unir ses forces pour barrer la route au chef de l’Etat sortant, mais en réalité elle n’a aucune chance, la Copa ne pèse pas plus de 40%. Tous les pronostics sont donc favorables à Mahamadou Issoufou. Mais attention, il ne faut jamais jurer de rien, la politique ce n’est pas que de l’arithmétique, il y a aussi le facteur humain : Premièrement, les électeurs ne respectent pas toujours les mots d’ordre de leurs partis politiques. Le transfert des voix ne se fera pas automatiquement. De plus, les reports de voix entre les deux tours ne sont pas tous évidents.

Un des arbitres pourrait être Ibrahim Yacouba, Ministre des Transports puis directeur de cabinet adjoint du président Issoufou depuis 2013. Il est arrivé 5e au premier tour avec 4,35 % des voix. Ses consignes de vote pour le second tour pourraient perturber des calculs trop rapides, mais il n’a rien dit pour l’instant. On sait qu’il a longtemps incarné le visage de la génération montante du PNDS avant d’être exclu du parti au pouvoir pour cause d’indiscipline et d’impulsivité. Ambitieux et dynamique, Ibrahim Yacouba a fondé en novembre 2015 son propre parti, le Mouvement Patriotique Nigérien (MPN) dont il a été le candidat pour la présidentielle de 2016. Il ne fait pas partie de la coalition de l’opposition COPA 2016. Voudra-t-il se venger après son exclusion du parti au pouvoir l’an dernier ? Nul ne le sait encore. Certains analystes politiques affirment cependant qu’il n’a pas d’autre choix que de rejoindre la Mouvance pour la Renaissance du Niger (MRN) car son parti, créé il y a cinq mois, ne pourra pas survivre à l’opposition lors du prochain quinquennat.

Deuxièmement, l’autre inconnue c’est le nombre de votes blancs ou nuls. Les partis doivent sensibiliser et éduquer les électeurs sur le plan électoral pour réduire le taux élevé de bulletins nuls. Cette année, c’est plus d’un demis million de voix qui ont été annulées (414. 888 selon la Commission électorale nationale indépendante) à cause de la non maîtrise du vote. Beaucoup de personnes ne votent pas correctement, c’est un vrai problème. Les gens peuvent aller voter mais, parfois, ne savent même pas comment voter. Ainsi, malheureusement, leur choix est parfois annulé, il faut que cela change.

Le contexte de longue attente qui a précédé la proclamation des résultats a alimenté des doutes au sein de la coalition d’opposition qui s’en est pris au pouvoir, l’accusant d’avoir mis en place des « bureaux fictifs ». La COPA a aussi évoqué des résultats fantaisistes et a soupçonné la CENI de fabriquer de faux résultats. Elle a demandé à ses militants de « résister » (contre qui, contre quoi ?), de ne pas accepter les résultats qui ne seraient pas le reflet de la réalité exprimée par les urnes. Faut-il la croire ? Il est clair qu’au Niger, certains politiciens impopulaires et en pannes d’idées n’auraient pas de scrupules à mettre le pays à feu et à sang.

Aujourd’hui, la tension politique a baissé d’un cran, la coalition d’opposition s’est dite confiante pour le deuxième tour. Tant mieux, au Niger, nous n’avons pas besoin de comportements haineux et anti-démocratiques. Vive le second tour et que vive la démocratie au Niger !

Article initialement publié sur le blog de Tejane

« Le rôle des intellectuels n’est pas de participer à la lutte pour le pouvoir. Encore moins de chercher à l’exercer. Leur rôle est, précisément, de se dessaisir autant que possible de tout pouvoir, de renoncer à l’exercice de tout magistère. Il n’est pas d’interpeller qui que ce soit. Il est de se faire, pour une fois, les maîtres de l’ascèse. »

Achille MBEMBE, historien et politologue camerounais in « Le lumpen-radicalisme et autres maladies de la tyrannie », publié dans le MONDE Afrique

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