Interdiction des gadgets en période électorale : Les partis politiques anticipent !
« A la fin de la rencontre, les responsables du parti ont remis aux femmes un lot de pagnes et de tee-shirts du parti ». C’est en ces mots que le journaliste a terminé son reportage sur le meeting d’un parti politique dans un arrondissement de la ville de Ouagadougou. C’était au journal d’une radio privée de la place. Cette dernière phrase, pour certains, n’est qu’un détail dans un meeting dont l’objectif était de mobiliser les femmes autour du candidat du parti à l’élection présidentielle du mois d’octobre prochain. La responsable des femmes de ce parti dans l’arrondissement a même précisé que bien avant, elle-même, en tant que leader du groupe, octroyait des crédits allant de 25 000 à 200 000 franc cfa aux femmes afin qu’elles puissent mener des activités génératrices de revenus. Si le candidat du parti est élu, bien évidemment l’argent ne sortira plus du bout de son pagne mais des caisses de l’État et les taux seront revus à la hausse, foi de madame la responsable qui semble être bien connu dans son milieu. Mais enfin, revenons à cette affaire, disons à notre affaire de pagnes et de tee-shirt car lorsque devant ma bouteille bien fraiche, j’ai entendu cela, je n’ai pas sursauté. Je me suis plutôt dis que moi qui suis friand de ce genre de tenue vestimentaire, il faut que je me renseigne le plus vite sur le lieu et la date du prochain meeting de ce parti avant l’ouverture officielle de la campagne électorale.
La nouvelle loi électorale interdit les gadgets
Depuis le 07 avril 2015, le Conseil National de Transition, notre Assemblée Nationale de transition a adopté le projet de loi sur l’interdiction des gadgets en période électorale au Burkina Faso. C’est l’article 68 du code électorale qui consacre cela : « Les pratiques publicitaires à caractère politique, l’offre de tissus, de tee-shirts, de stylos, de porte-clefs, de calendriers et autres objets de visibilité à l’effigie des candidats ou symbole des partis ainsi que leur port et leur usage, les dons et les libéralités ou les faveurs administratives faits à un individu, à une commune ou à une collectivité quelconque de citoyens à des fins de propagande pouvant influencer ou tenter d’influencer le vote sont interdits quatre-vingt-dix jours avant tout scrutin ». L’adoption de cet amendement du code est une victoire pour les organisations de la société civile et certains partis politique qui en avaient fait leur cheval de bataille sous l’ancien puissant régime. Mais si la loi existe maintenant, c’est qu’on peut également, comme d’habitude, non pas la contourner, mais anticiper sur son entrée en vigueur (90 jours avant tout scrutin). Les partis politiques l’ont donc bien compris et ont déjà inondé nos villes et campagnes de leurs gadgets multiformes à l’effigie de leur candidat, du moins pour ceux dont les visages et noms sont déjà connus. En circulant sur ma moto, je vois des slogans sur des tee-shirts recto verso, du genre : « ... tous à kosyam en 2015, je vote … pour la paix » ou encore « … pour une victoire éclatante à l’élection présidentielle ». Je me sens déjà en campagne avant la campagne et cela à la radio, à la télé, dans les journaux ... Le Conseil Supérieur de la Communication est plutôt préoccupé par les émissions d’expression directe. Sans officiellement un budget de campagne, les partis politiques sont en campagne et ne me demandez pas où ils sortent cet argent. Les plus nantis, on les connaît ici au Faso. C’est d’ailleurs les plus visibles avec différents types de gadgets. Mon cousin au village m’a « bipé » (un bref coup de fil) la semaine dernière en pleine nuit et une fois que je l’ai rappelé, grande fut ma surprise de l’entendre dire : « … c’est le polo du parti de ... que moi je veux car c’est plus joli que le tee-shirt simple, surtout la couleur blanche … ». Étant journaliste, il est convaincu que je peux lui trouver cela. Hélas. Avant l’ouverture de la campagne, les partis politiques l’ont comprise et veulent inonder le pays de leurs gadgets. Il faut en faire au maximum pour être visible et aussi être présent dans le subconscient de l’électeur qui a encore du mal à s’en départir même après Blaise Compaore. D’ailleurs, j’en garde un souvenir d’une situation que j’ai vécu en 2010 dans un bureau de vote à Ouagadougou. Une électrice, quinquagénaire entre dans un bureau de vote, prend le bulletin unique et pose la question suivante à la présidente du bureau en indiquant le logo d’un parti : « c’est bien celui-là qu’on dit de voter non ? On m’a donné le pagne hier nuit ». Nous sommes en 2015 et ce n’est pas sûr que l’insurrection d’octobre ait emporté de tels électeurs et électrices. Après l’interdiction des gadgets en période électorale, la société civile dans son ensemble a encore du travail de sensibilisation à faire. A vos mégaphones et autres outils de communication donc !
Bakary Ouattara