Cameroun : Qui parle d’alternance risque la prison comme le syndicaliste Jean Marc Bikoko

PAYS : Autres Pays
DATE DE PUBLICATION : mardi 2 février 2016
CATEGORIE : Articles
THEME : Politique

Jean Marc Bikoko, un nom qui en dit long dans le milieu syndical Africain en général et Camerounais en particulier. Orphelin de père depuis l’âge de 10 ans, il devait se battre très dur aux cotés de sa mère pour la survie. C’est de cette lutte pour la survie que découle la fibre syndicale de cet enseignant d’histoire bientôt à la retraite. La justice sociale, le respect des droits, la transparence dans la gestion des affaires de l’État, la défense de la liberté… ce sont autant d’idéaux qu’il défend. Cet engagement contre le système Biya n’est pas sans conséquence. Le 15 septembre 2015, les forces de l’ordre ont fait irruption en pleine conférence de presse et l’ont arrêté avec ses compagnons de lutte. Il se prépare à comparaître devant les juges le 9 mars 2016 dans un tribunal à Yaoundé. En marge d’un séminaire panafricain organisé dans le cadre de la campagne "Tournons la Page" auquel il a pris part à Ouagadougou du 25 au 29 janvier 2016, il nous a accordé une interview exclusive.

Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Je suis Jean Marc Bikoko, Professeur de Lycée au Cameroun et leader syndical. J’enseignais l’histoire et la géographie. Je suis géographe économiste de formation. Je coordonne une plateforme spécialisée sur l’information et l’action sur les questions de dette, de désendettement et de ré-endettement. Je coordonne un projet de Suivi Indépendant du C2D.

Pouvez-vous nous parler de votre engagement social ?

Mon engagement est militant pour des causes sociales, des droits, des libertés et de justice sociale. Chaque fois que des droits ou des libertés sont étouffés ou violés, chaque fois qu’il y a injustice à travers la discrimination, chaque fois qu’il y a abus d’autorité, je ne peux me taire. J’estime que Dieu a doté l’homme de tous les droits, même ceux de faire du mal, donc il n’appartient pas à un individu, fut-il chef de l’État de venir restreindre cette marge de manœuvre.

Depuis combien d’année êtes- vous êtes dans la lutte ?

Je suis dans la lutte depuis que j’étais étudiant voire depuis l’enfance. J’ai perdu mon père à l’âge de 10 dix ans et notre maman n’ayant pas fait l’école a commencé à faire le petit commerce, notamment à vendre des beignets et de la bouillie pour nous élever. c’était la lutte pour la survie. Il fallait donc accompagner notre maman dans cette aventure qui consiste à se battre au quotidien. On se réveillait chaque jour à 3h30 tandis que les autres enfants de même âges que nous pouvaient dormir jusqu’à 7h du matin. Il fallait aider la maman à préparer son commerce, l’accompagner au marché et revenir à la maison pour se préparer pour l’école avec tous les défis qu’il y avait : apprendre les leçons et réussir à l’école. Cette enfance faite de contrainte a forgé en nous un moral de lutteur et prêt à affronter tout ce qu’il y avait comme défi. C’est ainsi qu’à l’école, sans être très brillant on réussissait à passer, jusqu’à arriver au bout.

Au niveau social, étant préparé moralement, on a également réussi à s’imposer et à prendre le leadership dans le front, dans les différentes initiatives de défenses des droits et intérêts.

Cela fait plus de 32 ans que Paul Biya est au pouvoir. Pensez-vous que votre lutte permettra de créer une alternance au Cameroun ?

Notre engagement militant depuis des années a profondément déstabilisé le système parce qu’il y avait des sujets qui étaient tabou et qui sont devenus aujourd’hui des sujets de débats communs. Nous essayons d’affronter tous les interdits pour les banaliser et sans systématiquement focalisé sur la personne du président Paul Biya. Nous pensons que notre mobilisation peut systématiquement ébranler le système en place, système à la tête duquel se trouve Paul Biya à la tête. Ce dernier n’est pas le seul, comme je vous l’ai dit, c’est tout un système parce que, même si on enlève Paul Biya, celui-ci continuera à fonctionner. Il faut plutôt mettre l’accent sur le système et non sur l’individu pour pouvoir le déraciner et espérer parvenir à une alternance.

Le système dont vous parlez semble inébranlable, est-ce que vous ne pensez pas que votre lutte depuis des années est un échec ?

C’est une lutte de longue haleine. Les changements sociaux sont très lents. On vient de voir au Burkina que c’est depuis l’indépendance que les acteurs se battent et ils ont évolué petit à petit, et aujourd’hui on a abouti aux événements qui ont chassé Blaise Compaoré. Le bilan que nous pouvons faire au niveau du Cameroun est que la parole est déliée. Toutes les mobilisations sont réprimées c’est vrai mais nous continuons toujours la lutte jusqu’à ce qu’on nous arrête. Il existe également des journaux qui disent n’importe quoi et n’importe comment, cela confirme donc une certaine liberté d’expression. Ensuite, nous avons fait sauter un certain nombre de verrous qui comprimaient les gens. Aujourd’hui nous confirmons qu’il existe désormais un espoir qui permet aux jeunes de rêver et à une certaine catégorie de personnes d’espérer. Malgré l’environnement répressif, les choses ont changé. Cet environnement encourage les gens à intérioriser la peur et à préférer mourir dans la pauvreté que d’aller défendre leur droit, et notre ambition c’est d’aider les gens à se départir de cette peur. Ce sont les révolutions individuelles qui vont contribuer à la révolution collective, donc chacun doit se considérer comme un acteur de la révolution et se joindre aux autres pour que nous puissions construire un bon rapport de force afin de renverser le système en place.

N’avez-vous pas peur pour votre vie ?

Ma conception de la mort est que chacun ne meurt que le jour où il doit mourir. Le jour où tu meurs c’est que ta mission est terminée. Aussi longtemps que tu as une mission tu vivras et ceux qui veulent attenter à ta vie risquent de mourir avant toi-même. Ce n’est pas ma vie qui m’intéresse mais c’est plutôt la vision que j’ai et l’objectif que je veux atteindre. Qui veut aller loin ménage sa monture et on essaye de le faire avec la bénédiction du créateur de l’univers parce qu’en tant que chrétien on nous dit que : « la volonté de Dieu se fait sur la terre comme au ciel » donc je peux dire que le sort du Cameroun est déjà joué au ciel ; il ne reste plus qu’à se réaliser sur la terre.

Un procès vous attend dans les jours à venir au Cameroun ; qu’avez-vous commis comme acte répressif ?

Nous avons tout simplement voulu jouir de notre liberté d’expression en nous mobilisant à l’occasion de la journée internationale de la démocratie dans le cadre de la coalition Tournons la Page. Pour cela nous avons organisé une conférence de presse sur le thème : « gouvernance électorale et alternance démocratique ». C’était le 15 septembre 2015. Nous avons été surpris de voir les autorités administratives et les forces de l’ordre faire irruption dans la salle de conférence et pourtant ce thème ne représentait aucun danger pour l’ordre public mais simplement parce qu’il n’était pas en honneur du régime au pouvoir qui ne voulait pas qu’on parle de l’alternance démocratique et de la gouvernance électorale. Donc c’est pour avoir osé aborder un sujet tabou que nous avons été arrêtés. C’est un procès au cours duquel on nous accuse de manifestations illégales et de rébellion, tout simplement parce qu’on veut à travers ce procès donner un signal à beaucoup d’autres acteurs pour leur dire voilà ce qui vous attend si vous leur emboitez le pas. Mais nous, nous allons banaliser cette répression qui n’est d’ailleurs pas nouvelle. A chaque fois, je suis jeté en cellule après quelques coups de matraques mais la lutte continue. Pour le procès qui aura le lieu le 9 mars 2016, ils n’ont aucun argument pour nous pénaliser.

Quel pourrait être le dénouement de ce procès pour vous ?

Le dénouement ne peut être qu’un non-lieu parce que nous avons tellement d’arguments qui accablent ceux qui ont porté plainte. Déjà, le 23 décembre 2015 le procureur de la République a demandé le renvoi pour comparution le sous-préfet et des policiers afin qu’ils viennent étayer leur chef d’accusation. Cela constitue déjà une victoire énorme parce que c’est le procureur qui est supposé défendre l’État et ses représentants, et si c’est lui qui demande à ce qu’ils comparaissent c’est qu’il y a une avancée. Nous, nous n’avons peur de rien, nous avons tous les éléments contradictoires qui les accablent.

Si jamais la justice prononce un non-lieu, nous allons à notre tour porter plainte contre le sous-préfet et ses agents de police pour abus d’autorité et de trouble de jouissance.

Qu’allez-vous faire au cas où le procès se termine par un emprisonnement ?

Ils ne peuvent pas nous emprisonner parce que le système est assez fragilisé ; trop de fissures. L’unanimité ne règne plus au sein du système en face. Il existe des réseaux dans le système qui sont en notre faveur. Mieux, le bon Dieu lui-même ne permettra pas cela donc nous sommes assez optimistes.

Quel avenir du Cameroun avec Paul Biya ?

Aucun ! Aucun avenir avec Paul Biya ! S’il existe un avenir, ce ne serait rien d’autre que l’aggravation de la misère, de la précarité, de la corruption et de l’incompétence… C’est le chaos ! Le successeur de Paul Biya aura fort à faire. Moi je souhaite que ce successeur soit un dictateur éclairé parce que pour le cas de notre pays, il faut une petite dose de dictature pour imposer la discipline afin de pouvoir faire passer les reformes. Nous souhaitons que ce soit un homme éclairé pour nous permettre une transition démocratique pour essayer de revisiter tout le dispositif afin sur la base d’un consensus minimum le peuple choisisse de nouvelles personnes qui devront relancer l’appareil.

Que vous inspire l’insurrection populaire burkinabè de 2014 ?

Cette insurrection nous inspire beaucoup de choses. Primo, nous retenons que lorsque la jeunesse entre dans la danse, tout est possible. Secundo, quand un peuple en a marre, aucune force ne peut résister. Tertio, nous retenons que l’action en faveur du changement, quelle qu’en soit la durée elle finira toujours par atteindre son objectif. Les leaders que nous sommes, ce n’est pas évident que nous voyons le jour du changement mais le changement arrivera. Un proverbe de chez nous dit : « la lutte de libération est comme un train qui part de Yaoundé pour Douala. A chaque gare, le train s’arrête et des personnes embarquent pendant que d’autres descendent. Quel que soit le cas, le train arrivera à Yaoundé avec ou sans les gens de départ », c’est un peu notre cas. Donc nous nous contentons d’accomplir notre mission. Même si on n’y arrive pas d’autres acteurs arriveront.

L’insurrection comme celle du Burkina est-elle possible au Cameroun ?

Nous avons déjà eu de grands moments notamment en 1990 avec les villes mortes ; en 2008 avec les émeutes dites de la faim ; et une autre grande mobilisation de plus de deux semaines lors de notre arrestation en septembre 2015. Cela confirme que le peuple camerounais est en attente de quelque chose. Il y a déjà un déclic donc avec l’intervention des forces spirituelles tout est possible. Si malgré sa garde rapprochée, Blaise a fui le pays, nous croyons qu’il y a aussi une main divine quelque part.

Un message particulier à l’endroit du peuple Camerounais ?

Ne jamais désespérer, tenir bon et toujours se mobiliser car il est dit : « aide toi et le ciel t’aidera ». C’est pas le peuple burkinabè qui viendra libérer les Camerounais. C’est aux Camerounais eux-mêmes de le faire. Chacun doit s’engager dans la lutte pour que le changement tant attendu puisse voir le jour.

Propos recueillis et transcrits par Masbé NDENGAR

« Le rôle des intellectuels n’est pas de participer à la lutte pour le pouvoir. Encore moins de chercher à l’exercer. Leur rôle est, précisément, de se dessaisir autant que possible de tout pouvoir, de renoncer à l’exercice de tout magistère. Il n’est pas d’interpeller qui que ce soit. Il est de se faire, pour une fois, les maîtres de l’ascèse. »

Achille MBEMBE, historien et politologue camerounais in « Le lumpen-radicalisme et autres maladies de la tyrannie », publié dans le MONDE Afrique

img