Covid-19 et couvre-feu au Burkina Faso : Les FDS ne sont pas au-dessus de la loi
Depuis ce vendredi 20 mars 2020, dans un discours adressé à la Nation, le chef de l’Etat, Roch Marc Christian KABORE, a pris des mesures dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Coronavirus. Parmi ces mesures, figure l’instauration d’un couvre-feu de 19 heures à 5 heures du matin. Les mesures ont été accueillies de diverses manières. Mais c’est la mise en œuvre de celles-ci qui amène à se poser certaines questions.
Depuis ce samedi 21 mars, des éléments des Forces de Défense et de Sécurité (FDS), chargées de veiller au respect du couvre-feu, sont déployées à partir de 19 heures dans les artères de la ville de Ouagadougou et partout ailleurs dans le pays. L’on a pu le constater, bien avant les premiers reportages des médias, dans des vidéos et photos publiées sur les réseaux sociaux. Mais, les vidéos qui ont le plus retenu notre attention sont dures à regarder. Elles montrent ceux censés respecter la loi et la faire respecter, les FDS, s’ériger en bourreaux, en tortionnaires. Des scènes de bastonnades, des humiliations sont appliquées sur ceux et celles n’ayant pas respecté le couvre-feu, afin dit-on, de dissuader les éventuels contrevenants. Ces scènes, nous rappellent curieusement celles du Régiment de Sécurité Présidentielle (RSP) dans les rues du pays, en septembre 2015. Rappelez-vous. La loi est pourtant claire.
Les FDS ne sont pas au-dessus de la loi
Selon l’article 66 du code de la santé publique au Burkina Faso « En vue d’enrayer tout danger des maladies transmissibles, il pourrait être pris un décret sur proposition du Ministre chargé de la Santé, instituant l’état d’alerte dans une localité ou une région ; dans ce cas, des mesures obligatoires d’hygiène et de prophylaxie sont appliquées durant une période déterminée et renouvelable au besoin ».
L’article 67 précise les peines des infractions : « Toute infraction à ces mesures sanitaires est passible d’une amende de Cinq Mille (5000) à Trente Mille (30 000) francs CFA et d’un emprisonnement de cinq (5) à quinze (15) jours ou de l’une de ces deux peines seulement ».
En temps de couvre-feu, la loi autorise les FDS à mettre en œuvre leurs capacités pour sécuriser les personnes et les biens. Cela s’entend. Mais nous constatons, surtout avec l’avènement des réseaux sociaux, que des FDS, non contents de maintenir l’ordre par les moyens légaux, s’autorisent à humilier les personnes contrevenantes, en les photographiant, en les filmant et en diffusant les enregistrements. Ceci est grave. En effet, aucune loi n’autorise une autorité à filmer, photographier et rendre public les prises d’images réalisées, bafouant ainsi la dignité humaine. Pour peu que l’on ait du bon sens, l’on ne saurait tolérer cela. Que fera-t-on lorsqu’arrivera une bavure, car cela n’est pas à exclure. Posons-nous les bonnes questions.
Lutter contre le Covid-19
Sur certaines vidéos rendues publiques, on a pu voir des FDS, démunies de toute protection, "manœuvrer" les hors la loi vis-à-vis du couvre-feu. Pourtant, le couvre-feu viserait à protéger davantage les populations contre le covid19. On se demande quelle est la motivation alors, si les forces de l’ordre s’exposent en voulant montrer qu’il faut respecter la loi.
"Couvre-feu saison 3", "Canal + couvre-feu" c’est ainsi que l’on voit un peu partout les annonces sur les réseaux sociaux, annonçant aux internautes de rester "connectés" pour recevoir les vidéos et photos des contrevenants à la règle du couvre-feu. L’on oublie cependant, qu’en partageant, publiant ou enregistrant des images de personnes qui se font maltraiter, on se rend coupables d’atteintes au droit à l’image des personnes victimes. Il est impératif que l’on sache raison garder, surtout quand on veut promouvoir la paix et la cohésion sociale.
Restaurer l’autorité de l’État par tous les moyens ?
On peut comprendre autre chose dans cet acharnement à vouloir montrer pour de bon que "la loi doit être respectée". En effet, le malaise peut venir du fait que l’autorité a mal dans son autorité. Par des bavures que l’on a pu constater, souvent relevées et révélées par les organisations de défense des droits de l’homme, le constat est amer. Les dénonciations sont légions et, de plus en plus, les Burkinabè défient l’autorité de l’État. Et penser que c’est en bastonnades et tortures tous azimuts que l’on résoudra la question, c’est déplacer le problème et en ignorer les causes profondes. Le procureur du Faso près le tribunal de grande instance de Ouaga a déjà prévenu dans un communiqué publié ce 23 mars 2020 : « Les actes de torture et les pratiques assimilées, notamment les traitements cruels, inhumains et dégradants infligés à des personnes constituent des infractions prévues et réprimées par les articles 512 et suivants du code pénal. Aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, ne peut être invoquée pour justifier les actes de torture ou les pratiques assimilées. Il n’en est pas plus de l’ordre d’un supérieur ou d’une autorité publique. Convient-il ici d’insister que l’accomplissement d’un acte manifestement illégal, en plus de mettre en cause l’ordonnateur, engage la responsabilité pénale personnelle et individuelle de l’exécutant. Mon parquet suit de près les allégations d’actes de torture et de pratiques assimilées diffusées ces derniers jours, notamment à travers les réseaux sociaux. »
Il faut donner l’exemple et inviter les citoyens à adopter les bonnes pratiques.
Pour finir, souhaitons que les Burkinabè dans leur ensemble respectent les mesures déjà prises, afin de briser la chaîne de contamination du coronavirus.
La rédaction