A quand la fin des tracasseries routières inter-Etats ?

PAYS : Niger
DATE DE PUBLICATION : lundi 31 août 2015
CATEGORIE : Blog
THEME : Opinions

L’intégration africaine longtemps chantée par les dirigeants africains n’est qu’une illusion. La libre circulation des populations dans cette sous-région peine à se concrétiser. L’ampleur du phénomène des pratiques anormales sur les axes routiers inter-Etats est sans appel.

En début de semaine, sur le chemin de retour à Tahoua, j’ai constaté qu’un étranger sur le sol nigérien n’a pas tous les droits. La traversée du pays lui est pratiquement difficile à chaque point de contrôle. Les tracasseries routières sont si importantes que j’ai eu pitié d’eux. Il y a un certain temps, personne ne contrôlait les bus, ni ce qu’ils transportaient au Niger. Maintenant les choses ont beaucoup changé. Ils sont soumis à un contrôle routier drastique.

Ce sont les véhicules en destination d’Agadez qui transportent les émigrés en partance pour l’Europe. Pour ainsi dire, le bus devient le moyen de transport le plus prisé des Nigériens. 90% des voyageurs aiment s’acheminer par ce biais. En effet, on compte plus de 7 compagnies de transport toutes privées dans le pays. En moyenne, 3 bus de chaque compagnie quittent tous les jours un chef-lieu de région en aller et retour de la capitale et vice versa. Le bus qui nous a transportés de Niamey fera son dernier arrêt tard dans la nuit à Agadez. Plus de la moitié des passagers étaient des Béninois ou des Maliens (je les ai reconnus grâce à leurs dialectes). Ils ont tous au moins une pièce d’identité. Mais cela n’a pas empêché aux agents de contrôle de leur demander de descendre. Au Niger, nous n’avons pas un corps chargé de la migration. C’est la police nationale qui assure ce rôle même au niveau des frontières. A chaque point de contrôle, c’est une obligation pour le chauffeur de faire escale. Tant pis pour celui qui refuse d’obtempérer. Mais au Nigéria, les chauffeurs ne donnent jamais cette chance aux agents. A l’arrêt du bus, tout le monde reste dans le bus pour le contrôle, même les nationaux. Les étrangers démasqués sont regroupés en un seul lieu comme s’ils ont commis un crime. Ils n’ont commis aucun délit. Leur seule faute c’est de quitter leurs pays et aller tenter leur chance quelque part en traversant d’autres pays qui ne sont pas les leurs. L’identification des nigériens et des non nigériens est systématique. C’est pourquoi, parfois, ces étrangers se déguisent en locaux pour échapper à la vigilance policière.

Quand on embarquait vers 4 heures du matin, je voyais des passagers s’asseoir en arrière du bus au moment où le devant est quasiment vide. Beaucoup de voyageurs n’aiment pas cette place à cause des secousses. Mais c’est arrivé au poste de contrôle de Dosso que j’ai compris les raisons cachées derrière ce choix. Ils veulent éviter d’être contrôlés en premier. Etant derrière et vu la longueur du bus, ils peuvent profiter pour se dissimuler parmi ceux qui sont descendus pour des petits besoins. Le policier qui est venu inspecter notre bus est entré par la porte de devant. Il s’arrête tout prêt de mon siège. Il nous salue en langue. De notre réponse, il a vite compris que nous ne sommes pas des proies. Il s’est vite dirigé vers l’arrière du bus. A moins de 02 minutes, la moitié de ses occupants était dehors et se dirige vers un hangar en tôle. Le policier retourne lui aussi sous la tôle avec un lot de passeports, pièces d’identités et cartes professionnelles appartenant à ceux qui sont déjà sous le hangar. Cinq minutes après, les voilà qui commencent à sortir, un à un et la tête baissée. L’un d’eux commence à pleurnicher. Il s’en prend à ses camarades en langue Djoula mélangée avec du français d’avoir vite céder au lieu de négocier. Quand j’approche l’un d’eux pour savoir ce qui se passe, il m’affirme qu’on leur a demandé de payer chacun 5 000 Fcfa avant de continuer …

A chaque poste de contrôle, c’est du temps perdu. On entend, ceux restés dans le bus se plaindre, gesticulant des mains, mais jamais en présence des policiers. Cette même histoire s’est répétée au poste de contrôle de Birni Konni situé à l’entrée de Tsernaoua. Ceux qui sont en règle sont restés dans le bus. Ils ne doivent pas chercher à savoir ce qui se passe dans ces pseudos bureaux. Mais au retour, on peut lire sur le visage de ceux qui ont été sous ce hangar cette fois en tige, un désarroi total. Au poste de Tsernaoua, le bus a failli même laisser certains "récalcitrants" qui ont voulu jouer aux malins avec les policiers.

Mon voisin dans le bus est un boucher. Il revenait de la Côte d’Ivoire après plusieurs années. Il me confie ne pas être surpris des conditions dans lesquelles se trouvent ces étrangers. Eux (en tant que nigérien), ils ont connu pire en sortant ou en revenant au pays. Il ajoute avoir payé une somme de 10 000 F CFA au Burkina parce qu’il a égaré son carnet de vaccination dans le véhicule. Peu de temps après, il l’a retrouvé sous les sièges, et son argent ne lui a pas été remboursé. Selon lui encore, dans d’autres postes de contrôle, si tu demandes une réduction de l’amende, l’agent la double automatiquement. Pourquoi ces agents postés sur les routes nous embêtent malgré la libre circulation des biens et des personnes prônées par l’instance sous régionale, la CEDEAO ? Les gouvernements ignorent-ils ce qui se passe sur les routes ?

Article initialement publié sur le blog de Tejane

« Le rôle des intellectuels n’est pas de participer à la lutte pour le pouvoir. Encore moins de chercher à l’exercer. Leur rôle est, précisément, de se dessaisir autant que possible de tout pouvoir, de renoncer à l’exercice de tout magistère. Il n’est pas d’interpeller qui que ce soit. Il est de se faire, pour une fois, les maîtres de l’ascèse. »

Achille MBEMBE, historien et politologue camerounais in « Le lumpen-radicalisme et autres maladies de la tyrannie », publié dans le MONDE Afrique

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