Modification de la constitution ivoirienne : ADO, on te voit venir !

PAYS : Côte d’Ivoire
DATE DE PUBLICATION : jeudi 6 octobre 2016
CATEGORIE : Blog
THEME : Politique

Si l’ancrage démocratique est une réalité dans certains États africains, il n’en est pas de même pour tous. La gestion calamiteuse des ressources, le favoritisme, le détournement des deniers publics à des fins personnelles sont des pratiques qui sont légions sous les cieux africains. A ces maux qui handicapent l’avancée du continent, une pratique malsaine connue sous le sobriquet de « syndrome africain » fait son apparition : la modification constitutionnelle. Elle a de beaux jours devant elle vue le nombre intarissable d’adhérents. Après le Burundi, l’Egypte, le Congo Brazza, le Tchad, le Burkina Faso et bien d’autres pays, c’est la Cote d’Ivoire qui entre en plein pied dans la danse. L’article 35 de la constitution serait modifié par voie référendaire d’ici la fin de l’année 2016. A qui profite cette modification ? Décryptage.

La constitution a perdu sa sacralité dans bon nombre de pays africains, c’est le moins qu’on puisse dire. C’est l’un, sinon le texte le plus torpillé, surtout lorsque le locataire de la présidence n’a pas envie de passer le reste de ses vieux jours en dehors du palais. Peu importe les conséquences qui en découleront. Ainsi, des morts ont été comptés par dizaines au Congo Brazza. Le même scénario est en cours chez son voisin où Kabila ne trouve aucun gène à pulvériser sa jeunesse. En octobre 2014, Blaise Comparé avait également enjambé des cadavres pour se retrouver de l’autre côté de la frontière du pays, en Côte d’Ivoire.

« Tournons définitivement la page des crises », a martelé hier, 5 octobre 2016, le président ivoirien Alassane Dramane Ouattara devant l’assemblée Nationale. Nous aimerons bien croire que la modification de l’article 35 de la constitution mettra fin effectivement à plusieurs années de crise mais face à cette situation, nous optons pour le doute de Saint Thomas qui consiste à ne pas croire sans preuve, d’autant plus que la modification des constitutions en Afrique n’a jamais apporté de salut si ce n’est que tristesse et désolation. Pour preuve, l’opposition est déjà dans la rue et est déterminée à faire capoter ce projet. Ce n’est pas pour demain la fin du bras de fer entre l’opposition et le parti au pouvoir concernant ce projet. Nous ne voulons pas être de mauvaises langues mais il y a des signes qui ne trompent pas.

Bien de points sont discutables dans ce projet. En effet, le nouveau texte doit sauter la limitation de l’âge qui est de 75 ans pour la course à la magistrature suprême. Ce fait vient mettre à nu la volonté voilée de ADO de se représenter pour le 3e, 4e voire 5e mandat comme son homologue Idriss Deby du Tchad. Tout compte fait, c’est le président Ouattara qui sort gagnant dans cette affaire. Il doit désormais, si le texte passe à l’issue du referendum choisir un vice-président qui le secondera. On n’a pas besoin de jeter des cauris pour savoir que ce vice-président n’est rien d’autre qu’un de ses ‘’bras droits’’. Quelques noms circulent déjà dans les rues d’Abidjan : Ahmed Bakayoko, Daniel Kablan Dancan, Guillaume Soro … seuls ceux-là qui seront en mesure de lui éviter le jugement pour son rôle dans la crise post-électorale. C’est peu de dire que c’est une prime à l’impunité qui est en cours. C’est à pas feutrés mais surement que ADO arrive. On le voit venir !

Ce texte, sauf tremblement de terre, sera adopté lorsqu’on sait que la majorité des députés sont acquis à la cause du locataire du palais de Cocody. Ce projet de modification de la constitution est fait à dessein : ADO seul doit s’arroger le droit de nommer le tiers des membres du sénat. Ce qui est loin d’être une preuve de grandeur démocratique. A qui profite cette inégale répartition ?

Osons croire que cette modification ne vienne pas réveiller les vieux démons endormis dans la lagune Ebrié !

Masbé NDENGAR

« Le rôle des intellectuels n’est pas de participer à la lutte pour le pouvoir. Encore moins de chercher à l’exercer. Leur rôle est, précisément, de se dessaisir autant que possible de tout pouvoir, de renoncer à l’exercice de tout magistère. Il n’est pas d’interpeller qui que ce soit. Il est de se faire, pour une fois, les maîtres de l’ascèse. »

Achille MBEMBE, historien et politologue camerounais in « Le lumpen-radicalisme et autres maladies de la tyrannie », publié dans le MONDE Afrique

img